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I. Là où un lutin dort.


C’était un simple sentier qui courait au milieu des chênes et des merisiers. La lumière se glissait doucement à travers les arbres et venait éclairer les roches et les mousses. Des feuilles mortes jonchaient le sol, et une odeur d’humus frais emplissait l’air. A côté, un ruisseau coulait doucement et scintillait au milieu de cette végétation verte, jaune et brune.
L’étroit sentier filait sur une centaine de mètres. Au bout, derrière un parterre de ronces, se trouvait un énorme tronc d’arbre mort.

Et entre deux racines, une porte. C’est là que vivait Pok.

Comme tout bon lutin des bois, Pok entretenait la forêt. Son domaine était agréablement désordonné et équilibré. Pas trop de champignons, quelques grands arbres pour maintenir une bonne dose d’ombre, des fougères savamment dispersées, des épines pour protéger de jeunes pousses et par-dessus tout, un ruisseau clair et bien froid.

Oui, vraiment, tout était pour le mieux dans ce coin-là de la forêt.

Pourtant, un matin, le petit lutin retrouva un énorme tas de terre à la place d’une de ses fougères favorites. Et à côté, un trou. Un trou ? Non pire que cela, un tunnel. L’harmonie était brisée et le petit lutin en fut scandalisé.

« Pissenlit et chardon brun, s’écria-t-il. Qui a fait ce foin dans mon jardin ? »

Il héla aux alentours, appela dans le tunnel, mais personne ne répondit. Contrarié, il retourna chez lui, pris une pelle et passa la matinée à reboucher le trou. Quand la terre fut bien aplanie, il couvrit le sol de mousse et planta une nouvelle fougère. Il faudrait encore quelques mois avant que les dégâts ne disparaissent complètement, mais Pok avait regagné un brin de sérénité devant le travail accompli. Alors ce soir-là, après une dernière gorgée de tisane de violette sauvages, il s’endormit paisiblement.

Le lendemain, alors qu’il faisait le tour de son domaine, il constata qu’un nouveau tunnel était apparu au milieu de sa plantation de muguet. Il se fâcha davantage et demanda à voix haute :

« Par les racines du vieux sapin, quel taupe saccage ainsi mon beau terrain ? »

De nouveau, personne ne répondit.  Alors Pok décida d’explorer le tunnel pour retrouver le brigand. D’une écorce creuse qu’il fourra de feuilles mortes, il se fabriqua une torche. Puis il sauta dans le trou. Là, il découvrit un univers obscur, emplit de terre et de racines. Peu rassuré, il sillonna le tunnel sur plusieurs centaines de mètres. Le souterrain était large et deux fois plus haut que lui. On avait creusé à la pioche et à la pelle. Pok se demanda qui avait bien pu forer le sol ainsi. Et surtout pourquoi. Lorsqu’il se retrouva bloqué par un éboulement, il entendit derrière l’amas de terre des bruits sourds et répétitifs. Sa taupe était à nouveau à l’œuvre. Contraint de faire demi-tour, il décida qu’il veillerait la nuit suivante pour surprendre l’intrus.

De retour chez lui, il passa le reste de la journée à refaire sa parcelle de muguet. Puis lorsque le soleil se coucha, il se prépara un thé noir, s’habilla chaudement, enfila de hautes bottes et s’en alla guetter ses plantations.
La nuit passa lentement, et Pok commençait à s’endormir lorsqu’il entendit à nouveau le bruit sourd et répétitif. Cette fois-ci, cela venait de sa haie de charmes. S’approchant doucement, il vit la terre remuer, remonter et s’entasser. Puis une tête barbue sortit du trou. C’était un nain.

« Ha ha ! Je te tiens, gredin ! lança Pok. C’est toi qui dévaste mon ravissant lopin ! »

Surpris et désorienté, le nain balbutia :

« Ton … Ton lapin ?
- Mon loooopin !! Mon jardin, mon terrain que je façonne chaque jour de mes petites mains. Tu y creuse dans tous les coins !
- Oui je creuse, je fore, bougonna le nain. Mais qu’est-ce qu’un peu de terre contre un trésor ?
- De quoi parles-tu, barbu ?
- De ce que tout bon nain convoite et adore. D’un coffre rempli d’or !
- Ces cailloux jaunes qui ne servent à rien ? Ici, il n’y en a pas un ! Retourne d’où tu viens et ne massacre plus mes anémones, mes jacinthes et mes lupins !
- Mais un vieil adage proclame : “Là où un lutin dort se cache un trésor ! “
- Et bien ce dicton ne parle pas d’or, d’argent ou même d’airain ! Reste ici quelques temps, et je te montrerai de quoi il retourne à la fin ! Comment t’appellent les tiens ?
- On me nomme Tor. »

Et c’est ainsi que Pok invita le nain à séjourner chez lui. Bien sûr, pelle et pioche ne servaient plus qu'à l’entretien du domaine et plus aucun tunnel ne fut creusé. Au lieu de cela, les deux petits hommes ramassèrent de longues branches de saules et au milieu d’une clairière, ils tressèrent un carré d’une dizaine de centimètres de haut. Ensuite, ils y versèrent quantité de terre pour le remplir. Finalement, Pok autorisa Tor à y faire des trous - des petits - dans lesquels il déposa des oignons.

« Voilà qui est bien, dit le lutin. Et maintenant nous allons passer l’hiver ensemble si tu le veux bien ! »

Ainsi, au chaud dans la maison du lutin, ils regardèrent tomber les feuilles, la pluie et enfin la neige. La forêt changea de couleur, passant du rouge au jaune et brun puis au blanc. Les deux compères passèrent de nombreuses soirées près de la cheminée, une tisane à la main, en se racontant des histoires de nains et de lutins. La journée, ils préparaient les graines à planter au printemps, nettoyaient les vieilles branches des arbres et protégeaient les jeunes pousses du froid. Ils s’amusèrent si bien que l’hiver passa rapidement. Et petit à petit, la forêt reverdit.

Un jour, alors qu’il pleuviotait doucement, Pok regarda le ciel par la fenêtre et dit :
« Allons voir notre ce que donne notre carré ce matin! »

Il mena Tor à travers les bois jusqu’à la clairière. Ils s’assirent près du carré qu’ils avaient construit et sous le crachin, ils attendirent. Le carré avait verdit et était à présent plein d’herbes.
Quelques minutes plus tard, alors que la pluie continuait de tomber, le ciel s'éclaircit et le soleil perça.

Enfin, un arc en ciel apparut. Et à son pied, dans le carré de bois, des jonquilles se mirent à fleurir. Jaune d’or, elles étincelaient. Un sourire sur les lèvres, Tor battit des mains.

« Voilà un vrai trésor, mon copain, conclut Pok. »



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